Patagonia, une leçon d’entrepreneuriat


Posted by Shourav on 31st may, 2020


undefined

  “La Terre est désormais notre seul actionnaire” a déclaré en septembre dans une lettre ouverte au New York Times, Yvon Chouinard, fondateur de la marque américaine de vêtements de sport Patagonia. Il a en effet fait don de sa célèbre marque à une ONG engagée dans la protection de l’environnement. Fait historique dans le monde des entreprises, mais qui pourrait devenir une norme à notre époque. Retour sur l’histoire d’un pionnier de l’entrepreneuriat social.Le changement climatique est une urgence qui n’alerte pas vraiment. Les récents coups d’éclats de militants, entartant des œuvres d’art célèbres, nous l’ont encore une fois rappelé. Cependant, les structures les plus engagées sont principalement des associations ou des petites entreprises. Les grandes entreprises, comme les États, se limitent à des gestes symboliques qui les apparentent plus à du greenwashing. Yvon Chouinard, lui, change la donne en faisant d’une association écologique l’actionnaire principale d’une entreprise valorisée à trois milliards de dollars selon le New York Times. Le chef d’entreprise s’engage concrètement dans la lutte contre le changement climatique. Quand on sait qu’aujourd’hui, l’engagement à des causes sociales est un argument de vente, son modèle à de quoi inspirer. Pourquoi ce legs à la planète de Patagonia est la suite logique pour Yvon Chouinard ? On vous dit tout.

1. « Je ne voulais pas être un businessman »

Avant d’être un millionnaire listé dans le magazine Forbes, Yvon Chouinard est un simple adepte d’escalade et de randonnées. Justement dans une interview à ce sujet, le chef d’entreprise déclare avoir été en colère de se retrouver dans Forbes : « Je n’ai pas un million à la banque. Je ne conduis pas une Lexus ES. » Il est en effet plus du genre à conduire une Subaru bon marché et reste friand de plaisirs simples. Alors la raison qui pousse Yves Chouinard à fonder Patagonia, il y a environ une cinquantaine d’années, n’est pas l’appât du gain. Tout est parti d’un besoin de s’équiper correctement lors de la pratique de son sport de prédilection. Il fabrique ses propres pitons en acier réutilisables, d’abord pour lui-même, puis pour des amis et des grimpeurs de plus en plus nombreux. Devant son succès, il s’associe à Tom Frost, un alpiniste et créateur de matériels d’escalade, pour élargir sa gamme de produits. Le jeune entrepreneur d’alors a déjà le souci de préserver l’environnement. Il propose du matériel qui facilite la pratique de l’escalade, mais aussi avec une conscience écologique. Pour préserver la roche abîmée par les pitons en acier, il propose par exemple des coinceurs en aluminium. Par la suite, il se lance dans la commercialisation de vêtements de sports de montagne, de pêche et de surf. Là encore, la marque d’Yves Chouinard se distingue par un choix de matière première écologique et un service de recyclage et de réparation de ses produits. Patagonia devient entre temps la première enseigne fournisseur de matériels d’escalade et un modèle d’entreprise éthique.

  2. « Nous devons choisir d’agir. C’est le coût de faire du business sur cette planète. »

Quand on achète la marque Patagonia, on achète aussi les valeurs de l’entreprise. Le client se sent appartenir à une communauté soucieuse de l’environnement et il est identifié comme tel par les autres. Bien sûr, la célébrité de la marque, devenue une référence, a élargi le type de clients. Mais la cible initiale reste la personne engagée en faveur de l’environnement. L’ensemble de la communication et de l’organisation de Patagonia repose sur ses valeurs écologiques. Yves Chouinard a accentué cette particularité de son entreprise par des actions concrètes. Ses employés peuvent prendre deux mois de congés sabbatiques rémunérés si ce temps est consacré à un engagement dans une association pour la protection de la planète. Patagonia reverse aussi chaque année 1 % de ses ventes à des ONG environnementales. Cette position radicale dans le paysage entrepreneuriale est un argument de vente puissant comme une publicité de Patagonia dans le New York Times à l’occasion du Black Friday. Une veste en photo, la publicité invitait le lecteur à ne pas acheter cette veste. Elle précisait même « N’achetez pas ce dont vous n’avez pas besoin » au motif des dégâts environnementaux causés par l’industrie textile. Une campagne de communication, peut-être chargée de bonnes intentions, qui produit toutefois l’effet inverse par son caractère innovant. Cette publicité a au contraire encouragé les achats chez Patagonia. Si l’objectif environnemental est manqué, ça reste une bonne leçon de communication. Patagonia a ainsi, par sa posture, initié notre actuel entrepreneuriat social.

3. « Je ne savais pas quoi faire avec mon entreprise parce que je n’ai jamais voulu avoir d’entreprise »

  Le système capitaliste, Yves Chouinard l’a toujours critiqué, mais il a aussi su si bien en jouer que son entreprise comptabilise 100 millions de dollars de profit par an. Avec une entreprise d’une telle ampleur, il existe toujours le risque qu’elle échappe des mains de son fondateur. L’histoire de Steve Jobs et Apple en est un exemple éloquent. Or, âgé désormais de 83 ans, Yves Chouinard s’interrogeait sur l’avenir de son entreprise, partie pour lui survivre. Il n’avait pas la possibilité de léguer son entreprise à ses enfants, ses derniers ne souhaitant pas lui succéder. L’autre possibilité la plus courante était de vendre son entreprise ou de la faire entrer en Bourse. Néanmoins, ces deux options présentaient le risque de voir son entreprise allait un jour à l’encontre de ses valeurs. Inacceptable pour ce chef d’entreprise qui considère que les entrepreneurs ont la responsabilité de préserver l’environnement et le bien-être de leurs salariés. Heureusement pour Patagonia, il existait d’autres options moins connues. Barre Seid, le propriétaire de la marque de produits électriques Tripp Lite, a donné la totalité de son entreprise à l’organisation républicaine Marble Freedom Trust. Un modèle équivalent existe en France. Il est possible d’octroyer une partie du capital de son entreprise à une fondation actionnaire dont l’objet est la défense d’une cause. La Fondation Christophe et Rodolphe Mérieux possède ainsi une partie du capital de l’Institut Mérieux, un ensemble de sociétés en biologie, pour lutter contre les maladies infectieuses dans certains pays en difficultés économiques.Yves Chouinard a donc, en concertation avec son conseil administratif, opté pour un mélange de ces deux procédés. Il a donné le capital de son entreprise à une fondation actionnaire. Les bénéfices de l’entreprise seront reversés à l’association écologique Holdfast Collective, qui détient 98 % du capital. Quant au 2 % restant, ils donnent le contrôle de Patagonia à la structure Purpose Trust. Une fois ce partage effectué Yves Chouinard a déclaré : «  Maintenant, je peux mourir demain et l’entreprise va continuer à faire les bons choix pour les prochaines cinquante années, sans même que je sois présent. » Il n’a pas seulement préservé son héritage de la sorte, il a aussi ouvert la voie à une nouvelle forme d’engagement entrepreneurial.

- https://eu.patagonia.com/fr/fr/ownership/
- https://www.alternatives-economiques.fr/blanche-segrestin/patagonia-une-entreprise-cherche-a-etre-durable/00104724 https://www.nytimes.com/2022/09/14/climate/patagonia-climate-philanthropy-chouinard.html
- https://www.nytimes.com/2022/09/16/climate/yvon-chouinard-patagonia-philanthropy.html
- https://eu.patagonia.com/fr/fr/company-history/  

Lire plus d'articles !


© Link'Elles 2023 - Tous droits réservés