Juin-2 : L'entrepreneuriat peut-il vraiment sauver les femmes ?


Posted by Shourav on 31st may, 2020


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Masterclass, subventions, interventions… Que vous suiviez de près ou non l’actualité entrepreneurial, vous avez sûrement remarqué qu’on déplore souvent l’absence des femmes dans l’entrepreneuriat. Environ 32 % des entreprises sont créées par des femmes en France en 2021. Seulement une entreprise sur 5 est dirigée uniquement par des femmes, alors que plus de la moitié le sont par des hommes. Plus la taille de l’entreprise est grande, moins il y a de femmes. Le Forbes n’en compte que 4 dans les classement des 25 chefs d’entreprise français les plus influents. Ces chiffres, dans un monde où les entreprises sont le principal pouvoir en place, signalent que l’égalité entre les sexes est loin d’être acquise. Or, nous sommes aussi dans un monde où le discours féministe s’est imposé comme une norme dans la société française. Il est donc de bon ton de promouvoir l’entrepreneuriat auprès des femmes. Seulement, si l’objectif est féministe, le moyen employé, à savoir l’entreprise ne l’est pas forcément. Et comme nous l’a enseigné la poétesse militante Audre Lorde, « on ne détruit pas la maison du maitre avec ses outils. » Entrepreneuriat et féminisme ne font pas forcément bon ménage.

Dur, dur d’être une femme en entreprise

La vie en entreprise est compliquée. Avec d’un coté, les burn-out qui se généralisent à cause d’une charge de travail trop élevée et le manque de reconnaissance. D’un autre côté, un marché du travail où les offres d’emploi ne sont pas publiées. Avec aussi un ensemble de revendications autour des salaires trop bas et des travails pénibles, on devine sans peine que le travail en entreprise n'est pas toujours facile. Ça l’est d'autant plus quand on est une femme. Comme cela est avéré aujourd’hui, dans tout groupe discriminé, les femmes de ce groupe le sont toujours doublement. Le monde du travail ne fait donc pas exception à cette règle. C’est même l'un des lieux majeurs où les femmes sont discriminées. L’accès aux postes à responsabilité a été l’un des enjeux principal de la Seconde Vague féministe dans les années 1970. Mais malgré ces acquis, les femmes se cognent encore la tête au plafond de verre et occupent le plus souvent des postes précaires ou à temps partiel. Niveau salaire, c’est le même constat. Chaque année, on nous rappelle qu’à partir du 3 novembre, les femmes travaillent gratuitement étant donné les inégalités de salaires à poste égal avec un homme. À noter que ce constat ne prend pas en compte les multiples autres spécifiés qui accentuent les inégalités subies d’une femme à l’autre. Et comme si cela ne suffisez pas, l’entreprise est aussi le lieu où les femmes sont les plus vulnérables aux violences sexistes et sexuelles. Le mouvement MeToo qui a déferlé sur la plupart des secteurs l’a bien montré. Les agresseurs sont plus souvent des proches ou des collègues que des inconnus croisés dans une ruelle sombre. Des femmes ont donc compris que pour se protéger de ces violences, mais aussi défendre leurs droits, l’entrepreneuriat n’était pas si mal.

Encourager les femmes à entreprendre semble être le but ultime de notre époque. Ce sujet est si incontournable dans le monde de l’entrepreneuriat qu'il semble être une solution pour obtenir l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais l’équation est-elle aussi simple que ça ? Pas sûre.

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Who run the World ? Girls

À Beyoncé qui clame que ce sont les femmes qui font tourner le monde, on a envie de lui répondre que si oui, il s'agit plutôt des femmes entrepreneures. Il suffit de jeter un coup d’œil aux contenus associés au hashtag GirlBoss. On y retrouve souvent des portraits de femmes qui ont un certain succès entrepreneurial. Le pouvoir, à la fois économique et social obtenu, leur donne la possibilité d’avoir un impact positif sur le monde. Pour certaines d’entre elles, l’entrepreneuriat est une opportunité d’offrir aux femmes un cadre de travail féministe. Ces start-up qui revendiquent un entrepreneuriat féminin ont souvent une équipe composée principalement de femmes. Elles s’engagent contre des discriminations faites aux femmes quand ce n'est pas l’objectif même de leur entreprise comme les médias Les Glorieuses ou Les Éclaireuses. Sur le papier, la solution semble idéale. Toutefois, si l’entrepreneuriat féminin est minoritaire, c’est parce qu’il reste peu accessible. L’impact des discours qui poussent les femmes à entreprendre est limité dans une société où la femme ambitieuse à une image négative. L’évolution des mentalités fait que la réussite professionnelle d’une femme est désormais exigée, mais uniquement si ce n’est pas au détriment de la vie amoureuse et domestique. Ainsi que l’écrit si bien Virginie Despentes dans King Kong Theorie : « Bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir pour ne pas écraser son homme […], maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle… » En somme il faut être tout à la fois, atteindre un idéal féminin inaccessible, pour s’autoriser à être ambitieuse. Ces exigences sociales s’accompagnent d’un ensemble de freins à l’entrepreneuriat, de l’idée à la création et même au-delà. Il est plus difficile pour une femme d’obtenir un prêt, de convaincre des investisseurs, de lever des fonds ou même de s’imaginer en leader… Les subventions et les programmes viennent corriger les conséquences de cette situation, mais pas les causes.

« Ne nous libérez pas, on s'en charge »

L’entrepreuneuriat féminin peut rimer avec défense des droits des femmes. Mais ce n’est pas forcément le cas. Toutes les femmes ne sont pas féministes. Surtout que le sexisme n’est pas à isoler des autres discriminations possibles. En effet, une femme peut être à l’intersection de plusieurs discriminations selon son origine, sa classe sociale, sa religion…

Un véritable féminisme demande de veiller aux droits de toutes les femmes. C’est la condition pour labelliser une entreprise de féministe, quand bien même elle a à sa tête une entrepreneure. Le combat féministe ne se résume pas à la représentation des femmes dans un domaine. Dans l’expression « Girl Boss », on oublie trop souvent le mot boss. Il indique qu’il s’agit d’une personne qui dirige une entreprise. Alors, même s’il est question d'une femme, les intérêts de l’entrepreneure peuvent aller à l’encontre des revendications féministes. Le scandale de l’enquête de Télérama sur les méthodes de travail chez Louie Media repose sur cette logique. Les journalistes y évoquent notamment des harcèlements moraux et une pression des patronnes qui pousse les employées au burn-out. Ces accusations ont doublement choqué. D'une part, parce que les entrepreneures en question sont des femmes. D’autre part, parce que ce sont des femmes qui traitent de questions féministes. Or, les défenseurs de Louie Media dans cette affaire trouvaient sexiste de s’attaquer à l'un des rares médias dirigé par des femmes, alors que les hommes font de même. Valide ou non, cette argumentation révèle bien que le problème vient de la logique même de l’entreprise capitaliste. Le principe de placer le profit avant l’individu ou l’utilité sociale peut conduire aux mêmes travers, entrepreneuriat féminin ou non. De plus, l’entrepreneuriat peut mettre dans une situation plus vulnérable économiquement que le salariat. Être sa propre patronne suppose veiller à son propre salaire et à sa propre protection sociale. Ainsi, même si l’entrepreneuriat contribue à libérer les femmes, il ne fera pas à lui seul.

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